Je vous invite au fil des martelières à une promenade poétique au cœur du patrimoine hydraulique provençal, porté par le murmure de l’eau et la présence des pierres. À travers ces photographies, réalisées notamment dans les Garrigues de Sarrians, je rends hommage à un art de vivre lié à l’eau et au temps.
développerréduireMa démarche photographique n’est pas seulement documentaire : elle est émotionnelle. Je cherche à saisir la lumière qui émane de ces installations, à révéler leurs textures, les fissures et les détails qui racontent le temps. Chaque image est une capsule mémoire, un témoignage silencieux de ce qui pourrait disparaître et traduit la fragilité de ce patrimoine ancestral.
Les martelières, ces ouvrages de pierre emblématiques, sont bien plus que de simples vannes : elles ont longtemps joué un rôle central dans l’irrigation des campagnes provençales. Utilisées depuis des siècles, les martelières permettaient aux agriculteurs de contrôler le débit d’eau dans des canaux à ciel ouvert. Ce système hydraulique a modelé les paysages ruraux et façonné une tradition agricole, avec des “tours d’eau” rythmiques qui régissaient la distribution de l’eau entre les exploitations.
« C’est le beau-père. Ça lui a pris l’autre nuit en arrosant le pré. Je l’avais mis au bout pour m’avertir quand l’eau arriverait ; moi, je surveillais la martelière. »
Jean Giono, Colline 1929.
L’irrigation gravitaire, méthode ancestrale, repose sur la simple force de la gravité : le terrain en pente permet à l’eau de circuler naturellement, sans pompage. Le réseau du Canal de Carpentras, construit au milieu du XIXᵉ siècle, s’étendait sur plusieurs dizaines de kilomètres avec un maillage fin de filioles secondaires. Les martelières, réparties le long des canaux, jouaient un rôle de régulation crucial : elles étaient ouvertes ou fermées selon les besoins (les « tours d’eau »), garantissant un débit adapté pour chaque parcelle.
Aujourd’hui, ces martelières font partie du patrimoine hydraulique provençal menacé : modernisation des réseaux, disparition progressive de ces vannes traditionnelles. Pourtant, elles conservent une valeur historique et culturelle forte : en 2023, cette pratique a même été inscrite à l’inventaire national du patrimoine immatériel de l’Unesco. Préserver ces structures, c’est aussi préserver la mémoire d’un mode de vie rural, d’un savoir-faire artisanal et d’une relation respectueuse à l’eau.